Une invention révolutionnaire
Le gramophone, inventé et breveté par l’allemand Émile Berliner en 1887 (créateur de la Berliner Gram-o-phone Company), peut être considéré comme une évolution technologique du phonographe breveté dix ans plus tôt par le célèbre Thomas Edison. Cependant, il se distingue de ce dernier par deux innovations majeures : le disque remplace le cylindre en temps que support d’enregistrement, et le procédé de gravure se fait désormais latéralement, consistant en un va-et-vient du stylet graveur dans le plan du disque, contrairement au phonographe d’Edison utilisant un procédé de gravure verticale du cylindre.
Pour mener à bien son projet, il semblerait qu’Émile Berliner, se soit appuyé sur une idée de Charles Cros, déposée à l’Académie des sciences de Paris en avril 1877, quelques mois avant le dépôt du brevet du phonographe par Edison. Cette idée était basée sur l’inversion du phonautographe breveté en 1857 par le Français Édouard-Léon Scott de Martinville qui réalisa les premiers enregistrements sonores graphiques, donc latéraux. Notons toutefois que bien qu’Émile Berliner soit l’inventeur du gramophone et la raison de l’adoption du procédé de gravure latérale, il existe un disque enregistré de la même façon, œuvre de Charles Summer Tainter fabriqué en 1881 et déposé la même année à la Smithsonian Institution.
Au cours de ces nombreuses expériences, Berliner teste plusieurs matériaux pour graver ses disques. Après avoir testé des plaques de verre enduites de noir de fumée qu’il juge insatisfaisantes, il utilise de petits disques de zinc laqué, fait à base de gutta-percha, une gomme issue du latex naturel. Ainsi commence la commercialisation des disques Berliner 5 pouces (12,5cm de diamètre). Les disques Berliner 7 pouces (17,5cm) issus d’une matière semblable à l’ébonite apparaissent ensuite aux Etats-Unis en 1895, suivis des disques 10 pouces (25cm de diamètre) en 1901 puis des 12 pouces (30cm) en 1903.
Un succès fulgurant
Une fois mis sur le marché, le gramophone connaît un succès immédiat. Le grand public, qui à ce moment-là découvre à peine le phonographe d’Edison, n’a pas encore réellement pris d’habitudes concernant le matériel d’écoute ou la façon d’écouter de la musique. Les deux appareils et les compagnies les représentant se livrent alors une bataille intense pour devenir la référence et imposer leurs produits dans l’esprit des consommateurs. Bien que le phonographe à cylindre connaisse un succès honorable les premières années, le gramophone remporte la bataille des supports, ce qui signifie très vite sa victoire totale. En effet, la praticité du disque est alors très appréciée des premiers acheteurs, Berliner ayant semble-t-il eu la bonne idée de penser à la discothèque du consommateur.
Dès la fin du XIXème siècle, plusieurs marques de gramophones ou de phonographes à disques – nom hybride donné aux appareils utilisant des disques sans pour autant nommer leur produit gramophone – voient le jour en Amérique du Nord et en Europe. Une forte concurrence en découle, et en plus des appareils, ces fabricants se doivent de trouver des artistes pour assurer une variété de disques et ne pas lasser l’auditeur. C’est ainsi que ces compagnies deviennent peu à peu des labels musicaux et produisent les disques de leurs artistes, qu’ils soient classiques ou populaires. S’en suit alors une période d’innovations technologiques qui pose les bases de l’industrie musicale : la durée des chansons de 4 à 5 minutes et le « play-back only » (lecture seulement).
Au cours des trente années suivantes, le succès du gramophone ne faiblit pas et de nombreuses variations du produit voient le jour. Vers 1910, les phono-valises font leur apparition. Gramophone inséré dans une valise, ce procédé se révèle à la fois pratique et innovant, l’amplification acoustique étant assurée par une cavité conique située à l’intérieur du boîtier. Cette évolution assure une meilleure diffusion du son, et une aisance de transport non négligeable et contribue à la percée du gramophone dans les foyers occidentaux. Viennent ensuite le gramophone à moteur, qui propose un son de meilleur qualité, mais aussi le gramophone miniature, transportable facilement, ou encore le gramophone meuble de grande taille, puissant et esthétique. Quelles que soient leurs préférences, les audiophiles de l’époque en auront pour tous les goûts !
Gramophone et héritage
Toutes les bonnes choses ayant une fin, le gramophone disparaît progressivement au cours des années 1940 à 1960 au profit de l’électrophone, son évolution technologique qui amène encore l’industrie musicale à un autre niveau. En plus de se présenter sous le format standard de tourne-disques, l’électrophone connaît des déclinaisons sous toutes les formes possibles afin de s’adapter à tous les publics. On peut citer par exemple le jukebox, meuble électrophone à grande quantité de disques, très populaire dans les bars, ou encore le mange-disque, petit électrophone basique destiné aux enfants.
S’il fallait conclure, nous pourrions dire que le gramophone a véritablement révolutionné le domaine de l’enregistrement, de la reproduction et de la diffusion du son. Ayant connu un succès immense dans le monde entier pendant près d’un siècle, il a permis le développement de l’industrie musicale telle que nous la connaissons aujourd’hui. Pouvant enregistrer jusqu’à 5 minutes de son sur un même disque, plus du double que les premiers phonographes, le gramophone de Berliner est à l’origine des formats musicaux standards toujours utilisés de nos jours. Mieux encore, son support, le disque, survécu au déclin du gramophone et évolua tout au long du XXème siècle, restant le support référence jusqu’à l’avènement d’Internet et de la musique dématérialisée.